“C’est un spectre”, ça ne veut pas dire ce à quoi vous pensez.
Cet article est une traduction de l’article “IT’S A SPECTRUM” DOESN’T MEAN WHAT YOU THINK du site The Aspergian écrit par C.L. Lynch
Tout le monde sait que l’autisme est un spectre. Les gens n’arrêtent pas de le dire.
“Mon fils est du côté sévère du spectre autistique”
“On est tous un peu autistes — c’est un spectre”
“Je ne suis pas autiste, mais je suis définitivement “sur le spectre” “
Si seulement les gens savaient ce qu’est un spectre… parce qu’ils se trompent complètement quand ils parlent d’autisme.
Utilisons le spectre visible comme exemple.
Comme vous pouvez le voir, les différentes parties du spectre sont notablement différentes les unes des autres. Le bleu ne ressemble pas du tout au rouge, mais ils sont tous deux sur le spectre visible de la lumière.
Le rouge n’est pas “plus bleu” que le bleu. Le rouge n’est pas “plus sur le spectre” que le bleu.
Quand les gens discutent des couleurs, iels ne demandent pas à “quel point” une couleur est sur le spectre. Iels ne disent pas “mes murs sont sur la partie haute du spectre” ou “Les couleurs du bas du spectre sont celles qui me vont le mieux”.
Mais quand les gens parlent d’autisme, ils en parlent comme si il s’agissait d’un gradient, d’un dégradé, pas du tout un spectre.
Les gens pensent qu’on peut être “un peu autiste” ou “extrêmement autiste”, de la même façon qu’une peinture peut être un peu rouge ou extrêmement rouge.
Mais l’autisme n’est pas si simple.
L’autisme n’est pas un ensemble de symptômes définis qui empirent en “montant” sur le spectre.
En fait, une des caractéristiques différenciantes de l’autisme est ce que le DSM-V appelle un “profil inégal de compétences” . Il y a une raison pour laquelle les gens aiment dire que “Si vous avez rencontré une personne autiste, vous avez rencontré une personne autiste”. Chaque personne autiste a un profil différent.
C’est parce que l’autisme n’est pas un trouble. C’est un ensemble de troubles neurologiques reliés qui sont si intriqués qu’il est si impossible de séparer que les professionnels ont arrêté d’essayer.
LE SPECTRE AUTISTIQUE RESSEMBLE PLUTÔT À ÇA :
Version texte de l’image (Qui représente le spectre visible partant du violet à gauche au rouge à droite, avec sous chaque couleur des catégories) :
Langage Pragmatique : Communication sociale, dont le langage corporel, croiser le regard, bavarder de banalités, prendre la parole dans une conversation.
Conscience Sociale : Capacité à comprendre les convenances, les normes sociales, les tabous. Capacité à former et maintenir des relations.
Monotropisme : Capacité de concentration restreinte mais intense, résultant sur des intérêts « obsessifs » et des difficultés à changer de tâche.
Gestion des Informations : Capacité à assimiler et appliquer rapidement à de nouvelles informations, ou à s’adapter à de nouveaux environnements ou situations.
Gestion Sensorielle : Problèmes d’interprétation des informations sensorielles, hypersensibilité ou hyposensibilité aux stimuli.
Comportements Répétitifs : Tendence à « stim » en réponse à diverses émotions. Peut être de nature aussi bien bénéfique que nocive.
Différences Neuromotrices : Capacité de contrôler les mouvements de son corps. Va de la maladresse à la perte complète de la capacité à bouger volontairement.
Chaque personne autiste va être affectée d’une façon ou d’une autre par la plupart si ce n’est toutes ces cases. Un arc-en-ciel de traits.
Si vous ne remplissez qu’une ou deux cases, alors on n’appelle pas ça de l’autisme, on l’appelle autrement.
Par exemple, si vous n’éprouvez de difficultés QUE pour la communication, alors on appelle ça un trouble de la communication sociale.
Si vous n’avez QUE des problèmes de maladresse ou de mouvements du corps, alors on appelle ça de la dyspraxie.
Mais si vous avez tous ces traits et encore plus, on appelle ça de l’autisme.
On peut se rendre compte d’à quel point il semble ridicule, dès lors, quand quelqu’un dit “on est tous un peu autistes”, parce qu’iel déteste les lumières fluorescentes ou parce qu’iel se sent également mal à l’aise dans des les interactions sociales. C’est comme dire que vous vous habillez “un peu comme un arc-en-ciel” quand vous ne portez que du rouge.
Avoir des troubles sensoriels ne fait pas de vous quelqu’un d’“un peu autiste”. Ça fait de vous quelqu’un avec des troubles sensoriels. Les autistes comprendront vos difficultés et vous accueilleront en temps que cousin neurodivergent, mais c’est tout.
Pour qu’une personne soit considérée comme autiste, elle doit avoir des difficultés dans plusieurs catégories réparties sur le spectre. Le diagnostic se base sur des preuves que vous êtes effectivement réparti sur le spectre de façon observable.
Quelques traits communs sont moins évidents, et ne sont pas nécessaires pour le diagnostic, mais sont quasiment universellement déclarés par des personnes autistes.
Chaque personne autiste est touchée fortement dans une ou plusieurs de ces catégories pour que ce soit handicapant d’une façon ou d’une autre. Mais la couleur dominante de la palette de chaque personne peut être différente.
Voici quelques exemples de comment l’autisme pourrait se manifester chez trois personnes différentes.
PREMIÈRE PERSONNE
Version texte de l’image (qui reprend le format de l’image plus haut, avec le spectre):
Langage Pragmatique : A tendance à rater les signaux sociaux subtils, à interrompre ou ennuyer accidentellement les gens
Conscience Sociale : Oublie de dire bonjour ou au revoir, ne pense pas à demander de l’aide face aux difficultés. Ne prend pas contact avec ses amis.
Monotropisme : A tendance à être « obsédé » par ses intérêts spécifiques, a du mal à passer d’une tâche à une autre, n’arrive pas à faire plusieurs choses à la fois, a des troubles de la fonction exécutive.
Gestion des Informations : Absorbe les mots écrits facilement, a une excellente mémoire, mais ne peut pas suivre des instructions orales. A du mal à se diriger dans des environnements non familiers, facilement confus.
Gestion Sensorielle : N’aime pas certains sons, sensible à la lumière. Particulièrement « difficile » sur les goûts et les textures.
Comportements Répétitifs : A tendance à tapoter avec ses doigts sur le bureau ou à faire tourner la bague à son doigt, particulièrement quand stressé-e. Suce son pouce en privé. Adore se balancer.
Différences Neuromotrices : Un peu maladroit, a du mal à coordoner ses mouvements et a des difficultés avec les tâches manuelles. Peut apprécier un sport en particulier, comme la natation ou l’équitation.
DEUXIÈME PERSONNE
Version texte de l’image (qui reprend le format de l’image plus haut, avec le spectre):
Langage Pragmatique : Incapable de parler à cause de problèmes moteur, mais comprend très bien les signaux sociaux, et comprend le langage corporel subtile.
Conscience Sociale : Très intéressé par les gens, intéressé par la pop culture, mais souffre d’anxiété sociale.
Monotropisme : A tendance à être obsédé quand stressé ou contrarié, mais a une grande diversité dans ses intérêts.
Gestion des Informations : Éprouve des difficultés à s’adapter à de nouveaux endroits et de nouvelles personnes. A une mémoire éidétique (ou photographique), absorbe les informations instantanément.
Gestion Sensorielle : Les pressions faibles peuvent brûler comme le feu, certains sons rendent cette personne incapable de faire quoi que ce soit.
Comportements Répétitifs : Flappe avec ses bras, il peut lui arriver de fredonner ou de grogner, peut être fasciné-e par le mouvement de l’eau ou la sensation du sable.
Différences Neuromotrices : Le corps semble avoir son autonomie propre, éprouve de grandes difficultés à se déplacer de façon contrôlée, souvent pris pour une déficience intellectuelle.
TROISIÈME PERSONNE
Version texte de l’image (qui reprend le format de l’image plus haut, avec le spectre):
Langage Pragmatique : Ne remarque pas quand les gens sont contrariés. A besoin d’une communication claire et simple, sans métaphores ni figures de style.
Conscience Sociale : Peine à comprendre les règles sociales et les convenances. A du mal à comprendre les relations « donnant donnant ».
Monotropisme : Devient très vite obsédé par une tâche et n’aime pas qu’on le redirige vers autre chose. Très contrarié-e par les changements dans sa routine.
Gestion des Informations : Apprend mieux quand iel bouge, trouve ça plus difficile de retenir des informations quand assis-e. Pense en images, pas en mots.
Gestion Sensorielle : Sensibilité faible aux stimulations sensorielles — aime les bruits forts, peut se frapper quand stressé-e ou pas assez stimulé-e.
Comportements Répétitifs : Aime remuer et sauter, plus à l’aise en se balançant ou en se déplaçant.
Différences Neuromotrices : Un peu hyperactif-ve, avec une bonne condition physique et capable de faire des tâches physique exigeantes avec facilité.
Comme vous pouvez le voir, ces trois autistes hypothétiques montrent des signes classiques d’autisme, et pourtant ils semblent trois différents les uns des autres.
LEQUEL EST LE “PLUS” AUTISTE ?
La Première Personne serait probablement décrite comme “aspie” ou “haut fonctionnement”, bien que leur “fonctionnement monotropique” puisse leur poser des problèmes de fonction exécutive et rendre une vie ou un travail indépendant compliqués.
La Deuxième Personne est le genre de personne qui est souvent décrite comme “autiste sévère” parce qu’elle ne peut pas parler et ne semble pas comprendre ce qui se passe autour d’elle. Néanmoins, des gens comme Carly Fleischmann et Ido Kedar nous ont appris qu’ils ont en réalité une conscience sociale très développée et comprennent très bien le langage pragmatique.
Carly, dans les interviews qu’elle mène pour son émission Speechless, par exemple, pratique l’humour et le flirt d’une manière que beaucoup d’”aspie” seraient incapables d’imiter.
Si la seule chose qui empêche cette personne d’être drôle, sociale, et exubérante est un problème moteur, est-elle “plus” autiste que la Première Personne ?
La Troisième Personne pourrait devenir un adulte indépendant si iel reçoit des aménagements et la possibilité de stimmer afin d’être à l’aise et de pouvoir apprendre d’étudier. Mais iel pourrait être retardés durant l’enfance par des parents et professeurs qui essayeraient de lae forcer à rester asssis-e et rester calme et à étudier par des moyens conventionnels, ce qui pourrait provoquer des crises plus intenses où iel pourrait se faire du mal.
Ces trois personnes sont handicapées d’une manière ou d’une autre.
Les gens qui peuvent parler et ont un contrôle raisonnable de leurs fonctions motrices sont souvent catégorisés à “haut fonctionnement”, et pourtant ces autistes ont souvent de grosses difficultés à trouver du travail, maintenir des relations et des troubles de la fonction exécutive.
Mon docteur a récemment qualifié mon autisme de “léger”. J’ai gentiment montré le rapport de mon psychologue qui énonçait que ma dysfonction exécutive était plus importante que 99% des personnes.
“Ça signifie que je suis moins fonctionnelle que 99% des gens. Est-ce que ça vous semble léger ?” lui ai-je alors demandé.
Mais, vous voyez, je peux parler, et je peux regarder les gens dans les yeux. Donc ils considèrent mon autisme comme “léger”. Mon autisme affecte légèrement les gens autour de moi, mais il m’affecte sévèrement, moi.
Il n’y a pas de doute que ceux qui souffrent de troubles neuromoteurs sévères sont extrêmement handicapé, et je ne me compare en aucune façon à eux.
En fait, je demande spécifiquement aux gens d’arrêter de me comparer à eux. Ça ne leur rend aucunement service de penser que ce qu’ils ont c’est comme ce que j’ai, mais en pire.
C’est cette préconception qui déshumanise les gens comme Ido Kedar et Carly Fleishmann. C’est cette préconception qui mène à ce que des gens comme eux soient traités comme des gens incapables de penser, de ressentir et d’entendre. C’est cette préconception qui les fait se taper la tête contre le mur de frustration.
Si ils ont ce que j’ai, mais en pire, alors ils doivent être si autistes qu’ils ne peuvent pas fonctionner du tout. Ils doivent avoir les pires compétences interpersonnelles, la pire gestion de l’information, et la pire conscience sociale.
Mais ce n’est pas vrai du tout.
NON SEULEMENT MON ESPRIT ÉTAIT PLEINEMENT PRÉSENT ET COMPRENAIT TOUT, MAIS JE LISAIS COURAMMENT. JE PENSAIS À DES RÉPONSES, DES BLAGUES ET DES COMMENTAIRES TOUTE LA JOURNÉE DANS MA TÊTE. SEULEMENT, PERSONNE D’AUTRE NE LE SAVAIT.
DONC, ON ME PARLAIT COMME À UN BAMBIN, SANS ME DONNER DE RÉELLE ÉDUCATION, ET JE RESTAIS LÀ, ENNUYÉ TRISTE.
-IDO KEDAR, VISTA DEL MAR AUTISM CONFERENCE
Ne faites pas ça.
Ne présumez pas qu’une personne est tellement autiste qu’elle ne peut pas vous entendre ou vous comprendre. Ne présumez pas qu’elle ne peut pas lire juste parce qu’elle ne peut pas utiliser les toilettes. Ne présumez pas que je ne suis pas assez handicapé juste parce que je peux vous regarder dans les yeux et vous parler du temps qu’il fait.
Nous avons des compétences inégales.
TEMPLE GRANDIN EST INCAPABLE DE COMPRENDRE LA COMMUNICATION NON VERBALE, PENSE VISUELLEMENT, PARLE, ET N’A PAS BESOIN D’AIDE CONSTANTE POUR VIVRE AU QUOTIDIEN. JE SUIS SON OPPOSÉ. JE COMPRENDS TRÉS BIEN LES GENS, PENSE AVEC DES MOTS, MAIS JE SUIS INCAPABLE DE PARLER, ET J’AI BESOIN D’AIDE POUR TOUS LES ACTES DU QUOTIDIEN
-IDO KEDAR, “SPECTRUM OR DIFFERENT?” MAY 2016
Ido Kedar n’a pas une version plus sévère de l’autisme de Temple Grandin ou du mien. Ses compétences sont complètement différentes.
Mes difficultés neuromotrices sont limitées à me brûler quand je cuisine mon repas, ou trébucher et tomber quand je me promène. Celles d’Ido Kedar, de l’autre côté, signifient que son corps sort souvent de la pièce de lui-même sans demander la permission.
Pourtant, Ido Kedar exploserait probablement mes compétences en langage pragmatique.
EST-CE QUE ÇA VEUT DIRE QUE NOUS N’AVONS RIEN EN COMMUN ?
Non, en se basant sur ce qu’il a écrit, je peux voir que nous avons beaucoup de choses en commun.
En tant que personnes autistes, nous savons tous les deux ce que ça fait de se laisser totalement aller à stimmer, ce que ça fait d’oublier de regarder dans les yeux de quelqu’un, et ce que l’on ressent quand on a besoin d’être encouragé pour se lancer dans une tâche. Nous souffrons tous les deux de l’anxiété, et nous demandons tous deux comment on doit se sentir quand on est le genre de personne qui peut vivre sa vie sans efforts.
Nous sommes tous deux répartis sur le spectre d’une façon ou d’une autre.
Mais au delà de tout ça, nos situations sont différentes, et nos besoins sont différents.
Ce dont les gens comme Ido Kedar ont besoin c’est d’un ergothérapeute, et peut-être d’un physiothérapeute pour l’aider à contrôler ses mouvements. Ils ont besoin de quelqu’un pour les aider à apprendre à utiliser un letter board et un iPad afin qu’ils puissent enfin exprimer leurs pensées et émotions.
À la place, on les infantilise, on les place en institutions, ou on passe des années à leur apprendre l’alphabet alors qu’ils rêveraient de pouvoir poser les mains sur un manuel scolaire sur les sciences.
Moi, de l’autre côté, j’ai toujours été reconnue comme quelqu’un d’intelligent. À la place, j’ai peiné à faire comprendre mes difficultés aux gens. Ce dont j’ai besoin, c’est quelqu’un pour m’apporter de l’aide — pour cuisiner, pour nettoyer, pour ranger — pour m’aider à récupérer quand les tâches sont devenues trop grosses et trop compliquées pour que j’arrive à les appréhender. Ido Kedar rêve d’une vite indépendante alors que je rêve de quelqu’un sur qui me reposer.
Le système échoue à nous aider tous les deux, mais de façon très différente.
Donc arrêtez de supposer qu’un type d’autisme est “plus autiste” que d’autres types d’autisme.
Le rouge n’est pas “plus sur le spectre” que le vert ou le bleu. Les pommes ne sont pas “plus un fruit” que les oranges. Ce n’est pas comme ça que ça marche.
La visibilité d’un trait autistique ne prédit pas nécessairement ce que la personne peut ou ne peut pas faire, ou de quelle aide elle a le plus besoin.
JE NE DEVRAIS PAS COMPRENDRE LE LANGAGE HUMAIN, D’APRÈS CERTAINS. JE NE DEVRAIS PAS ÉCRIRE MES PENSÉES. JE NE DEVRAIS MÊME PAS AVOIR DE PENSÉES. ET BIEN JE VOUS DIS, ALLEZ ÉCOUTER LA NEUVIÈME SYMPHONIE DE BEETHOVEN, ET IMAGINEZ L’ÉCRIRE EN ÉTANT SOURD ET ESSAYER D’ÊTRE UN PEU PLUS HUMBLES SUR LES CAPACITÉS INCONNUES DU CERVEAU.
IDO KEDAR — MARCH 2019, WWW.IDOINAUTISMLAND.COM
Ne supposez pas qu’un autiste non-verbal qui ne réagit pas à votre présence dans la pièce n’a pas conscience de la conversation.
Ne supposez pas que quelqu’un n’est pas vraiment autiste juste parce qu’ils vous regardent dans les yeux et peuvent vous parler du temps qu’il fait.
Ne supposez pas qu’une personne autiste bavarde est capable de comprendre ce que vous venez de leur dire.
Ne supposez rien sur une personne autiste.
Depuis soixante-dix ans (au moins), des gens ont fait des suppositions sur les personnes autistes en se basant sur le comportement externe. Même les critères de diagnostique de l’autisme sont basés sur ce qui est facilement visible par un observateur. Ils pensent que plus on agit étrangement, “plus” on est autiste.
Nous vous demandons d’arrêter.
Demandez nous ce que nous pouvons et ne pouvons pas faire.
Même si on n’a pas l’air de pouvoir comprendre.